lundi 28 octobre 2013

Les Verts allemands :: De parti pacifiste à fervent défenseur de l’OTAN

Les Verts allemands :: De parti pacifiste à fervent défenseur de l'OTAN

Les élections fédérales allemandes du 22 septembre 2013 ont vu le triomphe d'Angela Merkel, le laminage des libéraux du FDP et le recul de Die Linke et des Verts qui, avec 8,4% des suffrages, ont essuyé une perte de 2,3%.

Merkel veut pourtant d'abord mener des discussions exploratoires avec les Verts, une coalition noire-verte étant la seule alternative possible à celle qu'elle désire, entre CDU et SPD. Les Verts, discuter avec Merkel, les conservateurs ? Voilà qui pourrait sembler improbable. Ou pas du tout. Dans la New Left Review, Joachim Jachnow a analysé la mutation de ce parti.

Joachim Jachnow


Joschka Fischer, leader des Verts, estime logique de bombarder des pays pour raisons « humanitaires ». (Photo European Parliament / Flickr)
Le 24 mars 1999, les premières bombes tombaient sur les centrales électriques et les réservoirs d'eau de Belgrade, détruisant l'infrastructure vitale, des usines, des voies ferrées, des ponts. La Luftwaffe (la force aérienne allemande) était de retour dans les Balkans, 58 ans après le bombardement par les Allemands de la capitale yougoslave, en 1941. Le retour militaire de l'Allemagne ne pouvait être annoncé de manière plus tonitruante. A la fin des années 1990, Joschka Fischer, dirigeant des « Grünen », les Verts, était devenu ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier du premier gouvernement fédéral allemand rouge-vert de l'Allemagne. Pour Fischer, il était du devoir moral de l'Allemagne de lancer ces bombes sur le territoire yougoslave, pour raisons humanitaires naturellement.     Les membres du parti des Verts étaient, eux, un peu plus réservés. En effet, aucun parti de l'Europe occidentale n'était aussi fortement identifié au mouvement pacifiste que les Verts allemands, avec leurs revendications comme le désarmement nucléaire et la dissolution de l'OTAN. Le parti, fondé en Allemagne de l'Ouest en 1980, était profondément enraciné dans l'opposition à la militarisation ouest-allemande et dans les mouvements de solidarité avec les luttes anti-impérialistes. Mais, après une longue lutte interne, le parti était devenu un acteur bien établi dans le système parlementaire allemand. L'entrée des Verts au gouvernement fédéral en 1998 correspondait à souscrire tacitement à l'OTAN et à l'économie de libre marché.

Le congrès de confrontation de 1998

Pourtant, le manifeste des Verts pour les élections fédérales de septembre 1998 affirmait que le parti s'opposait tant aux missions de combat qu'à celles de maintien de la paix par des militaires. Il précisait en outre que le parti désirait la réduction de l'OTAN, non son élargissement. A peine quelques mois plus tard, ces engagements étaient balayés. Avec seulement 6,7% des voix, les Verts étaient alors entrés dans un gouvernement avec les sociaux-démocrates de Gerhard Schröder (SPD), et l'accord commun de gouvernement laissait une place importante à l'OTAN. Avant d'endosser la fonction de ministre des Affaires étrangères, Fischer lui-même avait déjà été informé des plans américains pour la Yougoslavie, lors d'un voyage à Washington avec Schröder et Oskar Lafontaine, le dirigeant du SPD de l'époque.     Une grande partie du public allemand était cependant réticent quant à l'utilisation d'armes au nom des « droits de l'homme », et certainement la base électorale des Verts. La base anti-guerre des Verts a exigé que le parti convoque un congrès extraordinaire. Celui-ci s'est tenu au moment le plus fort des bombardements de l'OTAN, avec une présence policière massive pour « protéger » la direction contre sa propre base. A un moment, on a même cru que les Verts allaient se scinder et que le gouvernement chuterait. Mais Fischer a expliqué que la répression des Kosovars par les Serbes pourrait mener à un « Auschwitz ». Au terme de cette conférence très agitée, parfois violente, une résolution a finalement été approuvée, donnant dans les faits carte blanche aux ministres verts, avec 444 voix pour et 318 contre.

Volte-face

Le parti ayant désormais abjuré la pierre angulaire de la politique des Verts, tout le reste a alors également été bradé. Dans la foulée de la guerre de Yougoslavie, environ un tiers des membres ont quitté le parti. Ils ont fait place à un afflux de nouveaux venus, plus réceptifs à la nouvelle orientation des dirigeants. Auparavant fervents défenseurs de l'Etat-providence et de la redistribution économique, les Verts étaient devenus des partisans enthousiastes de l'Agenda 2010 néolibéral de Schröder. Ce paquet de mesures (lancé en 2003) a mené à un véritable pillage des biens et services publics, de la sécurité sociale et des fonds de pensions, alors que les salaires étaient compressés et qu'on octroyait aux entreprises des millions d'euros de réductions d'impôts.     De manière générale, le parti vert n'a jamais vraiment traité la contradiction entre durabilité écologique et l'expansion économique, inhérente à l'accumulation capitaliste. A la fin des années 1980, lorsque le groupe autour de Joschka Fischer a détenu une emprise plus forte sur le parti, la pensée néolibérale est devenue toujours plus dominante, préparant la voie au « capitalisme vert », populaire à l'époque, comptant sur les mécanismes du marché et les solutions technologiques pour les problèmes écologiques, en plein accord avec les diktats du FMI et de la Banque mondiale. 
    Encore plus surprenante a été la totale reddition des Verts à l'industrie nucléaire allemande. La lutte pour la suppression des centrales nucléaires avait toujours été le thème central du parti. Maintenant que les Verts étaient au gouvernement, la vie de réacteurs nucléaires usés était prolongée pour au moins 10 ans, et le ministre vert de l'Environnement Jürgen Trittin autorisait des lieux de stockage dangereux de déchets nucléaires et une garantie sur les dettes pour toute l'industrie. Le même ministre est également resté de marbre face à l'accroissement de la criminalisation du militantisme antinucléaire. Les Verts ont approuvé de nouvelles règles de surveillance, des restrictions des droits civils, la discrimination envers les étrangers et la militarisation de la police. Au gouvernement, avec le SPD, les Verts ont fait passer des projets législatifs contre lesquels ils s'étaient opposés avec succès durant des années, lorsqu'ils étaient encore dans l'opposition lors de l'ère Kohl.

L'épuration par les « Realos »

Lors des premières élections parlementaires fédérales de l'Allemagne réunifiée, le 2 décembre 1990, les Verts n'ont obtenu que 4,8% des voix dans les Länder ouest-allemands, soit moins de 5% du seuil électoral. Ils ont perdu leurs 44 sièges et leurs subsides fédéraux. Seuls les Verts est-allemands (tout justes créés, en février 1990), ont obtenu 6,1 % dans un partenariat avec Bündnis 90 (une alliance de 3 groupes est-allemands non-communistes). Pour toute réponse, Fischer a rejeté la responsabilité de cette humiliation électorale sur les éléments radicaux résiduels dans le parti. 
    Au congrès du parti de 1991 à Neumünster, les « Realos » (les « réalistes », le courant réformiste autour de Fischer, Cohn-Bendit et Hubert Kleinert, opposé aux « Fundis », les « fondamentalistes », NdlR) ont décidé de faire le grand ménage dans le parti. Les principes de démocratie participative ont été abolis au profit du leadership individuel et de la « professionnalisation », entraînant le départ des écologistes radicaux et des éco-socialistes. En 1993, Fischer a livré un projet  idéologique pour « la gauche après le socialisme », aussi éclectique qu'intellectuellement pauvre. Le libéral-réformisme Vert – caractérisé par le citoyen-consommateur libéral urbain, au « style de vie individuel », qui « proteste contre l'énergie nucléaire » et a de l'empathie pour « les pauvres et les marginaux » – avait désormais une existence propre et affirmée. 
    En 1994, avec le soutien enthousiaste des médias pour les Verts réformés, le parti entre-temps unifié au niveau fédéral a pu reprendre pied au Bundestag (le Parlement allemand), avec 7,3% des voix et 49 sièges. La victoire finale des Realos a eu lieu en 1998, lorsque le parti a pris part à une coalition fédérale rouge-verte, bien que les voix des Verts étaient descendues à 6,7%.

Le parti de la guerre

Le rôle de Fischer dans le ralliement, non seulement des Verts, mais d'une part plus large du courant « dissident » de la société allemande post-68, aux exigences des Alliés occidentaux durant la guerre en Yougoslavie ne peut pas être sous-estimé. « Si nous avions perdu le soutien public en Allemagne, nous l'aurions aussi perdu ailleurs dans l'alliance », a affirmé le porte-parole de l'OTAN, Jamie Shea, qui a décrit Fischer comme un exemple de dirigeant politique qui « ne court pas simplement derrière l'opinion publique, mais sait comment lui donner forme ». 
    L'intervention en Yougoslavie n'était qu'un début. Fischer a joué le grand jeu pour assurer que Schröder puisse compter sur le soutien des Verts pour le déploiement de troupes allemandes en Afghanistan. Dans une lettre commune à tous les membres du Bundestag, Fischer et Schröder ont expliqué pourquoi l'Allemagne devait participer à cette guerre : « Un nouvel «unilatéralisme allemand» – quelle qu'en soit la justification – susciterait l'incompréhension et la défiance chez nos partenaires et voisins. » 
    Selon un sondage d'opinion de 2011, il n'y a pas un segment de la population allemande qui soutienne autant l'action militaire étrangère que les Verts. Lorsque, en 2011, le gouvernement Merkel-Westerwelle a décidé de ne pas se joindre à l'intervention américano-franco-britannique en Libye, c'est le parti des Verts qui a émis la plus virulente critique. Alors que les avions de combat de l'OTAN lâchaient des bombes à l'uranium appauvri sur Tripoli, l'ancien parti de la paix clamait son indignation sur « l'attitude irresponsable » des dirigeants qui avaient maintenu la force aérienne allemande au sol. Le parlementaire vert Tom Koenings a même argumenté que l'Allemagne devait participer aux bombardements pour compenser le fait qu'elle avait vendu autant d'armes à la dictature criminelle de Kadhafi.

Elections

Lors des élections fédérales de septembre 2005, la coalition rouge-verte a été pénalisée pour les effets sociaux négatifs de l'Agenda 2010. Bien que le dirigeant du parti Joschka Fischer ait exclu une coalition fédérale avec les démocrates-chrétiens de la CDU, celle-ci s'est néanmoins rapidement réalisée au niveau des Länder allemands. En 2008 par exemple, avec l'essor de Die Linke, une coalition rouge-verte était possible à Hambourg, mais les Verts ont composé une coalition avec la CDU. En 2011, une série de protestations populaires contre les très coûteux projets de la CDU au gouvernement pour démolir et reconstruire entièrement la gare de Stuttgart, dans le Land notoirement conservateur du Bade-Würtenberg, a débouché sur l'élection du premier ministre-président vert d'un Land : Winfried Kretschmann. Une fois en fonction, Kretschmann a commencé par revenir sur l'opposition aux plans pour la gare et, actuellement, ce sont les Verts qui président à la construction de la nouvelle gare de Stuttgart. 
    Etonnamment, les Verts n'ont pas dû payer cher leur mutation politique au plan électoral. Ils sont passés de 8,3% en 1987 à 10,7% en 2009, mais leur électorat est devenu plus âgé, plus riche et plus conservateur, tout comme les dirigeants du parti. Un sondage d'opinion d'avril 2013 suggérait que 54% des électeurs des Verts, après les élections du 22 septembre 2013, soutiendraient une coalition fédérale avec la CDU. Chez les électeurs de la CDU, 64% se montraient satisfaits d'un éventuel gouvernement fédéral noir-vert. Fin avril, Daniel Cohn-Bendit, figure de proue des Verts, affirmait dans le journal Bild qu'une coalition entre la CDU et les Verts était « une option réaliste ».
La version intégrale et originale de cet article est paru dans la New Left Review, mai-juin 2013, www.newleftreview.org . Il a été abrégé et traduit par F.d.M. pour le magazineVrede, puis encore raccourci par Solidaire. Titre, introduction et intertitres sont de la rédaction de Solidaire.



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